Ferale.art


15 Juillet 2022

Nausicaa

Le 23ème jour de l'été 2022, première pleine lune, les corps ont perdu un membre qui leur était chère. C'était une chatte qui répondait (parfois) au nom de Nausicaa.

Comme le personnage homonyme de Miyazaki, elle était aventurière, sauvage et sans peur. Elle se battait contre des adversaires trois fois plus gros qu'elle. Elle repartait avec des balafres et du sang plein le visage, et elle s'en foutait. Elle était libre.

Elle adorait partir explorer le champs de blé en face de chez nous. Courir après les oiseaux. Grimper aux arbres. Sentir le vent et la caresse du soleil sur son visage. Et pourquoi pas muloter un peu.

Une fois rentrée, elle passait du temps à nous raconter tout ce qu'elle avait vu, entendu, ressenti. Il fallait l'écouter avec attention, sinon elle recommençait depuis le début en nous traitant d'imbéciles.

Elle était belle, fine et fluide. Son masque lui faisait des traits noirs le long des yeux, comme de longs cils maquillés, et des rayures grises sur le crane comme une crête de punk. Elle ne restait jamais dans les bras que pour atteindre un poste d'observation plus haut, et refusait toute caresse non-consentie.

Seules les personnes qui la connaissait bien avaient le privilège de pouvoir la caresser. Il fallait savoir repérer le moment opportun. Le timbre de voix, l'intonation et la pose qui annonçaient le moment calin.

Nausicaa était une chatte libre, heureuse, et une partenaire de jeu infatigable.

Aujourd'hui, j'ai creusé un trou au fond du jardin.
Juste en face du champ de blé, son espace favori.

J'ai porté son corps.
Je lui ai offert l'eau de mes larmes.
Je lui ai offert le feu de mon coeur.
Je lui ai offert le vent de mon souffle.
Et je l'ai rendue à la terre.

Je lui ai dit à quel point j'ai apprécié partager ma vie avec elle.
À quel point j'ai aimé son passage parmis nous et ces moments ensembles.
Je lui ai souhaité d'avoir encore plein de vies aussi heureuses.
Je lui ai dit que j'avais hâte. Hâte de la rencontrer à nouveau.
Je lui ai promis qu'on se reverra.
Qu'on ira courir ensemble dans les champs.
Qu'on ira muloter. Et sentir le soleil et le vent.
Qu'on ira renifler des fleurs et chasser des insectes.
Qu'on se laissera envahir par les odeurs, les sensations, les vibrations du monde.
J'ai hâte de pouvoir faire tout ça avec elle.

Sur sa tombe éphémère, j'ai posé deux bougies.
Une à sa tête pour accompagner son esprit.
Une sur son ventre pour accompagner son corps.
Elles ont brûlé toute la nuit pour aider sa sortie.

Raymond était là aussi. Il est resté à côté de la tombe. Je suis restée avec lui. Immobiles et tristes sous le ciel étoilé.

C'est là que nous avons entendu la foule s'approcher.

Des grattements, des bruissements, des petits cris. Et je les ai vu : des mulots, des souris, des campagnols. Qui avaient trouvé refuge dans le jardin après la moisson. Ils sont venus près de la tombe, à côté de Raymond. Comme s'ils venaient porter respect à leur adversaire. À la prédatrice avec laquelle ils ont partagé leurs vies.

Je n'osais plus bouger, à peine respirer, de peur de briser l'instant. Les rongeurs eux mêmes venaient se recueillir sur la tombe de Nausicaa. Après quelques petits cris, ils sont repartis dans les buissons.

Le 23ème jour de l'été 2022, première pleine lune, les corps ont perdu un membre qui leur était chère. C'était une chatte qui répondait au nom de Nausicaa.